Censure du web: Christian Vanneste, l’épouvantail qui cache la forêt

Christian Vanneste a proposé hier un projet de loi en faveur d’un blocage par défaut des sites pornographiques par les fournisseurs d’accès à internet (FAI). Le titulaire de la ligne pourrait, sur demande, réclamer le rétablissement de l’accès à ces sites.  Il s’agit, vous vous en doutez, de préserver les petits nenfants. Bien me direz-vous!? Ce projet pose cependant un certain nombre de problèmes...

Le député UMP du Nord est un habitué des déclarations fracassantes: il avait déjà donné son avis au sujet de l’homosexualité: « Ce n’est pas parce que quelques personnes ont des comportements, disons « curieux », que forcément la société doit s’en préoccuper ». Il a également ajouté qu’elle était « menace pour la survie de l’humanité » mais aussi comparable à la pédophilie (ses différentes prises de positions l’ont amené à être condamné pour « injures en raison de l’orientation sexuelle »). Autant dire que le « philosophe » n’a pas la langue dans sa poche et ne rechigne pas à sortir le costume de croisé, garant des « valeurs » de la vielle France catholique intégriste.

Une position morale avant tout

De la même façon qu’attaquer l’homosexualité lui permet de réaffirmer une suprématie de l’hétérosexualité et du mariage mixte, la possibilité pour les mineurs d’accéder à des contenus pornographiques est un prétexte pour rappeler le pêché que constitue la fréquentation de tels sites (« C’est alors que toute tentation est aussi immédiatement accessible et ses perversités se font plus rapidement sentir. C’est le cas des tentations sexuelles auxquelles répond le marché de la pornographie. » 

Bien sûr, il ne s’agit pas d’encourager les jeunes enfants à se rendre sur ces sites. Cependant, il est important de préciser que cette loi ne changerait pas grand chose à la question. N’y avait-il aucun jeune exposé avant internet? Les « combines » évoluent avec le temps et le web n’a rien inventé. Quelles sont de plus les possibilités techniques réelles de bloquer les sites? Il est possible d’accéder à ce type de contenus par bien d’autres biais, les sites de téléchargement notamment.

Du point de vue de l’éducation, faut-il interdire pour arriver à « ses fins »? Ne serait-ce pas dans ce cas renforcer l’attractivité du produit? Et n’est-il pas préférable de discuter avec son enfant plutôt que de repousser le moment où le sujet sera abordé sans doute sans la présence d’un adulte?

Filtrer n’est pas jouer

En ce qui concerne le web, puisque c’est davantage le sujet qui nous intéresse ici, cette proposition de loi se place dans la lignée de nombreuses déclarations favorables à un « filtrage » du net (euphémisme pour dire censure). Nicolas Sarkozy utilise d’ailleurs fréquemment l’épouvantail de la pédophilie pour justifier un contrôle du réseau. Là encore, les arguments ne tiennent pas longtemps, notamment lorsque l’on sait que les cas de pédophilie touchent en grande majorité le cercle familial (mon propos n’est bien sûr pas une négation des dangers présents sur internet). La stratégie à peine voilée est donc de faire peur pour faire accepter le contrôle de l’État sur l’information.

C’est qui le (la) pervers-e?

Les utilisateurs devraient donc le cadre de cette loi faire la demande auprès du FAI. Il est clair que nombreux seront celles et ceux qui y réfléchiront à deux fois avant d’effectuer cette démarche. D’autre part, est-il souhaitable de se diriger vers un net à la carte dans lequel chacun déclare explicitement ses centres d’intérêts à la signature du contrat? Bien que les FAI puissent déjà observer la totalité de nos faits et gestes sur la toile, il n’est pas impossible que cela soit une ouverture pour officiellement utiliser ces informations à des fins commerciales et ficher les internautes.

Une porte ouverte à toutes les fenêtres

Le filtrage pose la question du choix des sites retirés à la consultation. Un forum comme « Doctissimo » qui aborde des sujets liés à la sexualité est-il concerné? Quelle confiance accorder aux FAI? Quels sont les critères? Qui les fixe?

C’est en fait de l’avenir d’internet et de son contenu qu’il s’agit en réalité. Interdire l’accès des mineurs aux sites pornos: à priori, cela ne choquera pas plus que ça… les sites pédophiles: idem… Tiens, ya des site politiques… Quand même, ils exagèrent un peu, ça frise la diffamation! En plus, certains s’en servent pour justifier des actes violents et incivils, faudrait peut-être les mettre de côté aussi non..?
Vous voyez où je veux ne venir?
Jusqu’où le filtrage est-il acceptable? Répondre qu’il l’est pour les questions graves ne fait qu’éviter le débat: les défenseurs de cette position seront-ils les premiers à veiller à ce que cela n’outrepasse pas les limites fixées? Personne ne peut l’affirmer. Au nom de la commodité, nous bradons déjà nos données personnelles sur le web!
Internet doit-il donc être un espace de liberté ou un lieu aseptisé et contrôlé par les États et les entreprises? Peut-être sera t-il plus pertinent d’aborder les différents problèmes de la société de façon plus concrète et de les prévenir plutôt que de resserrer une surveillance et une censure qui n’ont jamais démontré leur efficacité.

Rien ne sert de courir…

Quoiqu’il se passe vis à vis de cette proposition de loi, l’important n’est pas pour l’instant de trop se focaliser sur ces effets d’annonce. Il est préférable au contraire de prendre du recul, de ne pas tomber dans le panneau et laisser nos émotions altérer notre jugement. Ces cris au loup que lance aujourd’hui Vanneste (ce sera un autre demain), servent surtout à nous habituer à entendre ce type de discours.

Bientôt, il ne nous fera plus réagir, et lorsqu’un fait divers le justifiera, le développement de la censure d’internet s’imposera « naturellement » comme une solution. Le député du Nord, dont la crédibilité est sérieusement amoindrie, ne sera probablement pas un acteur de premier plan dans cette entreprise. Mais avec sa proposition, il avance un pion qui apporte sa pierre au développement de cette stratégie qui mène insidieusement à l’acceptation d’un contrôle plus fort sur l’une de nos principales sources d’information.


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