Le corps, ce nouveau champ de bataille de la surveillance

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Une nouvelle pas si surprenante mais qui n’en reste pas moins très inquiétante vient de tomber: Axa, par le biais d’une offre/concours, propose à ses clients de s’équiper d’objets connectés en échange de chèques-cadeaux pour de la médecine douce. C’est le tracker Pulse 02 de Within qui a été choisi. Celui-ci peut récupérer des données concernant le rythme cardiaque, le taux d’oxygène dans le sang ou la qualité du sommeil.
Ainsi, les 1000 premiers souscripteurs de l’offre Modulango d’Axa Santé recevront des avantages financiers plus ou moins déguisés s’ils maintiennent une moyenne de 7000 pas par jour pendant un mois (50€ de chèque), ou de 1000 pas p/ jours pendant un mois (100€).

Cette annonce est un premier pas vers un possible modèle de contrats d’assurances basés sur une surveillance des données du Quantified Self. Certes, nous n’en sommes qu’à d’éventuelles prémisses et à une probable phase de test concernant la réception, mais l’argumentaire est déjà là:

« L’assurance maladie comme les assurances complémentaires ont intérêt à encourager les assurés à s’équiper, en offrant ou en subventionnant l’achat de telles solutions. Cela permet d’encourager les comportements vertueux »

Cédric Hutchings, directeur général de Withings

Dans les bureaux, on réfléchit déjà à cette opportunité de faire entrer d’avantage d’argent, tout en promouvant ces « comportements vertueux ».

« La révolution de notre quotidien par les objets connectés est en marche. De plus en plus intelligents, ils vont rapidement s’imposer dans tous les secteurs d’activités, dont l’assurance »

Minh Q. Tran, directeur du fonds d’investissement d’Axa dans les start-ups.

C’est pour notre bien. Et puis il faut l’avouer, certains abusent de ces bons samaritains. Pourquoi assurer au même prix un fumeur, un obèse, un mangeur de hamburgers, alors que d’autres ont su passer au bio et font leur footing matinal avant d’aller gentillement travailler?

Évidemment, ces questions « d’hygiène » de vie ne sont qu’une question de volonté, et les moyens financiers, la pénibilité du travail et le lot de souffrances psychologiques qui en découlent, la répartition des tâches ménagères etc., ne sont que blabla sociologique.

Et au delà de ces débats « d’un autre âge », qui pourrait renoncer à l’idée d’un esprit sain dans un corps sain? (je vous laisse le loisir de tirer tous les points Godwin qui vous plairont de cette petite expression).

Un scénario si paranoïaque que cela?

Le modèle de l’assurance en fonction des comportements est déjà développé notamment dans le domaine de l’automobile par le biais du principe pay as you drive.  Ainsi, certaines assurances aux États-Unis vont collecter des données concernant votre conduite (freinages brusques, accélérations, vitesse…), pour définir le taux de risque de votre profil.

De même dans le domaine bancaire, la start-up Jumiya propose des conditions de financement à l’utilisation d’appareils mesurant l’activité physique. Selon des études, santé financière et santé physique seraient liées.

Le marché des objets connectés et notamment ceux liés au Quantified Self se développe grandement ces derniers temps, et risque fort de prendre son envol dans les mois et les années à venir: on parle même déjà de nouvelle révolution technologique. Parmi les géants, Apple et Samsung ont déjà commencé à investir, et à constituer des bases de données alimentées par des données de santé de leurs utilisateurs. Si le débat est épineux et permet encore le maintien de certaines protections (les utilisateurs restent pour l’instant propriétaires de leur informations), les liens entre ces industriels et le monde de la santé existent déjà.

Les domaines d’application sont nombreux. Par exemple, on pourrait se demander ce que pourrait donner un partenariat entre une entreprise et des laboratoires pharmaceutiques, quand cette première collecte des données sur le sommeil, l’humeur, ou la prise de poids…

Dans le marketing, le moment de mise en contact avec le message publicitaire pourra être plus finement choisi, en fonction de la happy_pillsréceptivité maximale supposée suite à l’analyse de toutes ces données, enrichies parfois même par l’analyse prédictive. Des applications mobiles sollicitent par exemple les utilisateurs pour connaître leur humeur, et font entrer petit à petit dans les mœurs cette normalisation de la transparence totale à l’égard des marchands de vie privée.

Mais tout cela sera bien entendu au nom de la santé et du bien être.

Les données liées au corps et à la santé intéressent de plus en plus d’acteurs économiques

La question des données liées au corps est déjà largement envisagée outre-Atlantique. Ainsi, des entreprises, dont Google (par le biais de 23andMe, entreprise de l’épouse de Sergey Brin), travaillent à la récolte d’informations liées à l’ADN. Si cela reste encore cher, il ne faut pas être devin pour envisager que la gratuité soit atteinte, en échange d’un partage de ces données, notamment avec les acteurs économiques intéressés (assurances, mutuelles, laboratoire pharmaceutiques etc.), au même titre que pour le profilage comportemental qui est aujourd’hui le modèle de financement majoritaire sur le web. Les laboratoires pharmaceutiques ont déjà flairé le filon, et investissent dans le domaine. Ainsi, Johnson & Johnson avaient participé au financement de 23andMe, aux côtés de Google.

PruHealth, une compagnie d’assurance britannique, propose même des bracelets connectés à ses employés pour augmenter leur productivité et réduire les arrêts maladies. Une généralisation de ce type de pratiques pourrait laisser présager un avenir bien sombre dans lequel ultra-capitalisme et outils numériques seraient définitivement en symbiose.

Au pays de l’oncle Sam, les complémentaires santé reprennent ce modèle, et conditionnent fréquemment leurs offres à l’utilisation d’objets connectés contrôlant les pratiques physiques.
Le coup d’essai d’Axa est donc loin d’être innocent: c’est peut-être une nouvelle stratégie que l’entreprise est en train d’introduire en France.

Dans cette perspective, on pourra également envisager l’analyse prédictive liée aux données de la santé comme étant également une aubaine pour assurer les missions d’assurance:

Ainsi, le magazine Argus de l’Assurance consacré à l’innovation (n°7294, p.56) définit le métier d’assureur comme suit:

“Connaître les risques pour mieux les anticiper, les maîtriser et les tarifer au plus juste, tel est, ni plus ni moins, le coeur du métier de l’assurance.”.

Tout en douceur…

L’autre aspect intéressant qui est à observer est celui de l’adoption volontaire de ces outils par les utilisateurs. Se prendre en charge, consulter des statistiques, être productif… autant de nouvelles compétences perçues comme modernes et nécessaires, voire responsables, et qui nous transforment en entrepreneurs de notre corps. « Il faut faire remonter la courbe! » La logique productiviste pourra être appliquée à soi-même, son corps, son mental, son intimité.
Une belle victoire d’un certain modèle idéologique…

La pratique sportive introduit également ces outils subrepticement car ils s’accordent aisément avec la logique compétitive et rentabilisatrice de ce type d’activités.
Axa choisit le jeu pour faire accepter son modèle, mais nuls doutes qu’une certaine morale hygiéniste saura en cas de succès accompagner le mouvement afin de porter l’utilisation de ces mouchards au niveau de la nécessité morale. Bien heureusement, nous n’en sommes pas encore là.

Et à plus grande échelle?

Enfin, la question qui se pose encore et toujours est celle des concentrations de données provoquées par les monopoles. Des entreprise comme Google, Facebook ou encore Apple sauront certainement se montrer compétitives sur ce type de marchés, et croiseront ces données avec les innombrables autres informations déjà en leur possession. La personnalisation des messages publicitaires, toujours plus convaincants et perçus comme utiles, alimentera encore pour quelques temps les caisses des annonceurs, et interrogera d’autant plus profondément le concept de libre arbitre.

De même, nous serons en droit de nous demander quel pourra être l’usage fait par les États de telles bases des données, à l’heure où il paraît de plus en plus évident que collecte privée et surveillance étatique forment un tout solidaire dessinant les nouvelles sociétés panoptiques.

Il reste donc à attendre une évolution des législations favorable à notre protection et/ou une réaction des utilisateurs.
Mais dans un cas comme dans l’autre, le coup d’essai opéré par les géants du web concernant la collecte des intérêts personnels pour le profilage publicitaire nous montre que la pilule risque malheureusement de passer sans trop de soucis.

Et si demain vous aviez tout de même quelque chose à cacher: votre santé..?


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